samedi 30 août 2014

Aya de Yopougon T5 et 6

Une BD de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, publiée chez Gallimard jeunesse dans la collection Bayou. Elle existe aussi en poche chez Folio.
Elle est constituée de six tomes.

Si vous le souhaitez, vous pouvez lires mes billets sur les tomes 1 et 2, puis 3 et 4.

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Aya de Yopougon t5 et 6*

Plus on avance dans une série, plus l’écriture de la chronique devient difficile… Il ne faut pas spoiler et on a l’impression de se répéter inlassablement, sans parvenir à faire passer les émotions que l’on a ressenties. Malgré cela, j’avais quand même envie de vous parler de la fin de cette BD qui m’a accompagnée cet été et m’a vraiment enchantée. C’est pour tout ceci que j’ai mis un certain temps à écrire ce billet et, en outre, que j’ai regroupé dans celui-ci mon avis sur les tomes 5 et 6.
Lire Aya de Yopougon c’est un peu une lecture doudou, un pur moment de bonheur. On suit avec un intérêt bienveillant toutes les histoires, futiles ou importantes, tristes ou joyeuses, que vivent au quotidien des personnages qu’on ne peut que trouver sympathiques et c’est agréable, tout simplement. On s’implique dans cette lecture comme on le ferait pour un roman ce qui, en tout cas pour moi, est plutôt rare avec les BD.
La forme ne change pas, c’est toujours trop court, mais on parcourt un terrain connu et, en quelque sorte, balisé. S’il y a toujours les traditionnels bonus de fin de volume, avec leurs lexiques, leurs recettes et faits de société, la présentation des personnages ainsi que leurs liens familiaux est remplacée dans ces deux tomes par un résumé des intrigues en suspens. Avec ça je me rends compte que cette BD fait un peu série télé, mais c’est utile si vous lisez ces albums de manière plus espacée que je ne l’ai fait.
Certains personnages se rapprochent, d’autres se croisent de manière improbable et somme toute assez ironique parfois, Marguerite Abouet nous a réservé quelques surprises. Moussa fait son grand retour, Ignace commence à prendre conscience de certaines choses et à prendre davantage son entourage en compte… S’esquisse entre les pages l’avenir des filles et d’Innocent qui pourtant continue d’enchaîner les quiproquos… Certaines intrigues arrivent enfin à leur terme, mais la vie ne semble pas s’arrêter pour autant à Yopougon.
Je ne suis pas amatrice des fins trop fermées car l’existence est ainsi faite qu’elle ne s’arrête pas à une fin de roman, de BD ou de nouvelle. C’est une bonne chose qu’elle semble suivre son cours, mais c’est aussi pour cela qu’on a inventé les épilogues. Ici la coupure est abrupte, trop pour moi… J’aurais bien aimé savoir, même très brièvement, ce que tous ces personnages auxquels je me suis tant attachée allaient devenir.
C’est donc avec un petit pincement au cœur que j’ai terminé cette série. Je quitte à regret tout ce petit monde. Je ne peux m’empêcher d’espérer une suite, mais je garderai en tout cas une grande tendresse pour cette série positive, très humaine et pleine d’humour.
Pour me consoler, je vais me plonger dans le deuxième tome de Bienvenue, autre série de l’auteur que je me gardais précieusement pour un moment de blues.

samedi 16 août 2014

Bel Ange, Le Baron Noir T2

Un roman d'Olivier Gechter publié par les éditions Céléphaïs.
Ma chronique du tome 1 : L'ombre du maître espion.
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le baron noir 2 - bel ange
Paris, printemps 1864. Antoine Lefort, le baron d’industrie de la Seconde République triomphante, assiste à la première des Misérables à l’opéra Le Pelletier avec son collaborateur, le jeune Clément Ader, lorsque frappe Bel Ange, une mystérieuse anarchiste au fouet d’acier. L’intervention du Baron noir sauve in extremis le président Bonaparte et son épouse, mais le complot ne fait que commencer. Le coeur malmené par la troublante Julie Leboeuf, ses convictions attaquées par les idéaux de Victor Hugo, Antoine devra utiliser toutes les ressources de son armure s’il veut empêcher le désastre qui se précise. Mais est-il bien sûr de lutter dans le bon camp ?
Dans cette suite directe de L’ombre du Maître-Espion, on retrouve Antoine Lefort, alias le Baron Noir, et son ami Clément Ader là où nous les avions laissés. Toutefois, leurs préoccupations du moment, liées aux événements du précédent tome, vont être balayées par un attentat contre l’Empereur ainsi que la menace très sérieuse d’un groupe d’anarchistes et particulièrement d’une mystérieuse jeune femme armée d’un fouet et agile comme un chat.
Si Batman a sa Catwoman, notre super-héros steampunk se devait d’avoir Bel Ange. C’est très bien trouvé et j’aime de plus en plus cette série, même si j’aurais préféré une histoire davantage développée. Le justicier aura néanmoins fort à faire dans ce roman et je gage que seul le lecteur se plaindra de la brièveté de cette aventure…
Ce deuxième tome fait montre de ce que la littérature populaire (et le terme n’est pas péjoratif quand je l’emploie) peut donner de meilleur. On se trouve à la croisée des genres, avec le style enlevé du roman feuilleton en prime, on passe du récit d’espionnage à l’histoire de super-héros, classique mais efficace, choisissant ou non de se jouer des clichés pour le bonheur du lecteur, tout cela sur fond d’une uchronie toujours aussi intelligemment construite et une intrigue plus ancrée dans le rationnel que dans le roman précédent. Vous trouverez à la fin de l’ouvrage quelques notes explicatives de l’auteur quant aux choix qu’il a fait et vous pourrez voir que cela a été mûrement réfléchi. Olivier Gechter réagence l’histoire avec talent et non sans une certaine ironie. C’est une des choses qui me séduisent le plus dans cette série.
Elle est toujours aussi plaisante à lire, sans temps mort. Je n’ai eu à déplorer que quelques coquilles que je pardonne volontiers pour l’excellent moment de lecture passé. J’ai un peu pesté contre Antoine qui, comme tous les hommes (si, si), ne voit rien venir, mais je l’aime quand même et j’ai hâte de lire la suite de ses aventures. J’apprécie énormément sa personnalité. Il n’est pas le super-héros torturé par son passé dont nous sommes coutumiers, mais se définit lui-même comme un grand enfant et un rêveur invétéré qui veut se donner les moyens de réaliser ses idées, même les plus improbables.
Quant aux intrigues développées jusqu’alors, j’attends mes réponses concernant les oiseaux, mais aussi celles aux questions que ce tome-ci a laissé en suspens. Pas que la fin soit bâclée, bien au contraire, mais c’est une série qui s’inscrit sur la continuité, ce qui me va étant donné que je la trouve très bien construite. Je n’aime pas les romans trop refermés sur eux-mêmes mais encore moins les trames distendues pour rien sur plusieurs tomes. Ici, l’équilibre est parfait.
Ce n’est pas une série qu’on lit pour les rebondissements de l’intrigue, car beaucoup de choses semblent évidentes de prime abord, néanmoins l’histoire est si bien menée et intéressante de par tous les éléments de fond qui le constituent et la richesse des personnages que ce n’est pas un problème. Il y a bien d‘autres raisons de lire et d’apprécier un roman que celle d’être surpris par le final.
Le Baron Noir est une excellente série, pas chère en plus (9€ le tome). Ces romans raviront les amateurs de steampunk, de super-héros, mais aussi de polars et d’espionnage.

vendredi 15 août 2014

Aya de Yopougon T4

Une BD de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, publiée chez Gallimard jeunesse dans la collection Bayou. Elle existe aussi en poche chez Folio.
Elle est constituée de six tomes.

Si vous le souhaitez, vous pouvez lires mes billets sur les tomes 1 et 2, puis 3.

 

Aya 4*

Aya de Yopougon est décidément une excellente série de BD qui se bonifie de tome en tome. Le troisième était un volume de transition et, avec le quatrième, les intrigues se complexifient davantage. On apprend à connaître plus intimement les personnages, ce qui nous les rend de plus en plus proches, et c’est toujours un bonheur de les voir évoluer.
Nous retrouvons Adjoua sur les chemins de la maturité, alors que la jeune femme cherche à se construire une vie sur des bases solides pour son enfant, mais reste néanmoins attachée au père de celui-ci. Mamadou est quant à lui toujours dans les combines, va-t-il réussir à s’en sortir ?
On apprend également quelle a été l’enfance d’Hervé et on se demande si sa nouvelle situation financière va ou non le changer. Albert, quant à lui, est partagé entre ses sentiments et le besoin de plaire à son père. Les galères d’Inno à Paris ont également une bonne place dans ce tome et j’avoue que c’est parfois très amusant de le suivre, j’adore ce personnage si sympathique et attachant.
Aya, prise dans ses propres problèmes, n’en peut plus de toujours devoir s’occuper des autres alors que les crises s’enchaînent autour d’elle. Féli aussi a des ennuis avec son père qui souhaite la récupérer.
Ambiance douce-amère en perspective pour ce très bon tome, en le refermant on a vraiment très envie d’ouvrir le suivant pour savoir ce qu’il va advenir de tout ce petit monde qu’on aime de plus en plus. C'est quelque chose d'assez rare dans une BD pour être signalé. Ces personnages sont tellement attachants qu’on a l’impression de les connaître, au point que la petite présentation des liens familiaux au début du tome n’est pas du tout nécessaire.
Les événements des tomes 3 et 4 nous prouvent que cette série peut aussi aborder des sujets graves, souvent avec de l’humour et de l’optimisme, mais sans les noyer pour autant dans le rose bonbon. Je m’attends à encore mieux pour les deux derniers tomes qui semblent des plus prometteurs.
Comme toujours, l’auteur nous offre un excellent bonus de fin, avec des recettes et des infos intéressantes. Cela participe grandement au charme d’Aya, impliquant davantage le lecteur dans l’histoire.

mercredi 13 août 2014

Tag des sept nains

J’ai vu ce tag en vidéo sur la chaîne de Margaud, mais il a été traduit de l’espagnol et relâché dans la nature par Bulledop. J’ai trouvé l’idée amusante, alors je l’ai attrapée au vol.
Chez Disney les sept nains ont des noms correspondant à leur personnalité et il s’agit donc d’associer des livres à ces caractéristiques.

1) Timide : le livre qui vous a gêné (fait rougir).
On commence fort avec celui-ci.
Si j’ai tendance à rougir facilement au quotidien (une affaire de carnation), je n’ai pas souvenir qu’un livre m’ait réellement fait rougir. Ce n’est pas le même mécanisme de gêne à mon sens, mais j’ai toutefois un album — et pas des moindres — à évoquer dans cette catégorie.

Filles perdues d’Alan Moore et Melinda Gebbie
Cet ouvrage est entre la bande dessinée et le roman graphique, il mêle trois histoires que nous connaissons tous et pornographie.
Alice, Wendy et Dorothy (là tout de suite vous voyez de quels romans très connus je parlais) sont à la fois lointaines et proches des héroïnes qui ont bercé notre enfance et les auteurs ont puisé avec intelligence dans leurs histoires respectives. Le style graphique est réfléchi, ses variations étudiées, tout dans cet ouvrage a un sens. Qu’on aime ou pas, que ce soit pour le contenu ou les styles employés pour le dessin, il a dû demander beaucoup de travail.
Si cet album vous intéresse, je vous invite à lire la très complète critique de Lucie Chenu, qui vous expliquera tout cela mieux que je ne saurais le faire.
Quant à moi, je vais revenir à mon sujet… Je ne suis pas spécialement pudibonde et j’ouvrais ce livre en connaissance de cause. Malgré tout, certaines histoires m’ont mise très mal à l’aise.
Il y a un livre dans le livre, le fameux livre blanc de l’hôtelier, qui va de scènes érotiques à la pornographie la plus débridée et dans ces scènes, l’une m’a particulièrement gênée, parce qu’elle inclut de la pédophilie, fait atténué par l’improbabilité de la situation, mais ça ne change rien pour moi, c’est choquant. Ensuite dans le récit, l’hôtelier raconte des souvenirs, dont la véracité n’est pas sûre (probablement pour atténuer une nouvelle fois le propos), mais qui sont vraiment dérangeants, toujours pour la même raison. Tout cela se trouve dans la troisième partie, la plus glauque à mon sens.

2) Prof : le livre qui vous a appris quelque chose.
Des tas de livres m’ont appris des choses… On compterait plus facilement ceux qui ne m’ont rien appris.
Pour cette fois je vais citer L’appel de la forêt de Jack London.
C’est un roman que j’ai lu enfant et relu bien des fois ensuite, pourtant je ne saurais expliquer ce qu’il m’a apporté alors que ça a contribué à me façonner.
Disons que grâce à ce roman j’ai pris conscience de choses, à propos de moi comme du fonctionnement de notre monde, et j’ai grandi avec ça.

3) Grincheux : le livre qui vous a mis en colère.
Présumé coupable d’Isabelle Guso.
Dans le cas présent, j’ai été en colère parce que j’ai vraiment eu l’impression qu’on essayait de me manipuler. Je sais bien que ce n’était pas le cas, pas complètement en tout cas, mais l’impression est restée et ça m’a vraiment mise en rogne.
Pour me faire passer une idée, la dernière chose à faire est de tenter de m’influencer.
Ceci dit l’intention était louable et c’est une très bonne novella, qui donne à réfléchir.

4) Joyeux : le livre qui vous a rendu joyeux (nooon c'est pas vrai !)
Tout dépend de ce qu’on entend par joie.
Si l’on parle de paix intérieure et de sérénité heureuse, je dirai Grand-mère : tableaux de la vie campagnarde de Božena Němcová.
Mais s’il s’agit d’un livre qui m’a fait rire…
Je ne ris pas facilement. Je suis une grincheuse. Et puis un livre drôle de bout en bout c’est plutôt rare…
Les livres les plus marrants sont en général ceux qui n’ambitionnaient pas de l’être.

5) Simplet : Le livre dont le final vous a surpris.
Je suis rarement surprise, par habitude je décortique, je calcule, j’analyse… Je suis la première à m’en désoler, mais je n’arrive pas à me défaire de cette agaçante manie et, souvent, je connais la fin dès les premiers chapitres…
Il y a sûrement des histoires qui m’ont vraiment plus surprise que celle que je vais évoquer, mais j’ai eu beau chercher, cela ne m’est pas revenu en mémoire.
Pour cette fois, je choisirai alors Les âmes croisées de Pierre Bottero.
Ce n’est pas tant que je ne voyais pas cette fin venir, mais plutôt qu’elle reste malheureusement en suspens. D’une certaine façon, c’est aussi beau que triste et… saisissant.

6) Dormeur : le livre qui vous a endormi.
Je suis vraiment un très mauvais public, toujours à geindre et critiquer, par contre, paradoxalement, je m’ennuie assez difficilement.
J’ai toutefois deux exemples :
- Les Georgiques de Claude Simon.
Commencé pour un cours, jamais terminé. Mais j’y ai peut-être mis une très mauvaise volonté. Sans doute le prof qui m’avait imposé cette lecture en est-il le responsable.
Brida de Paulo Coelho.
Celui-ci je l’ai terminé mais c’est une lecture sans le moindre intérêt sur quelque plan que ce soit.

7) Atchoum : le livre qui vous a rendu malade.
- Les chants de Maldoror de Lautréamont.
Rien que d’y penser, je me sens encore physiquement en train de partir…
Je pourrais vomir le contenu de mon estomac et peut-être bien l’estomac lui-même.
- Trois pépins du fruit des morts de Mélanie Fazi.
Pour celui-ci c’est différent.
Disons que ce roman m’a laissé un malaise vraiment persistant, il y a du dégoût, certes, mais diffus, une angoisse impalpable, un brin de ressentiment et d’autres sentiments peut-être un peu plus marqués, mais pas facilement définissables.

lundi 4 août 2014

Aya de Yopougon T3

Une BD de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, publiée chez Gallimard jeunesse dans la collection Bayou. Elle existe aussi en poche chez Folio.


Ma chronique des tomes 1 et 2.


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aya de yopougon 3*


Attention mes amis, retour à Yop city !
La fin du deuxième tome laissait la famille d’Aya en pleine tourmente et je n’ai pas pu attendre bien longtemps avant de me jeter sur la suite. J’avais tellement hâte de savoir ce qui allait advenir de tous mes personnages préférés !
C’est avec grand plaisir que j’ai retrouvé Aya et ses proches. La série semble, avec ce tome, avoir pris son rythme de croisière, si quelques bouleversements sont au programme, le lecteur est, quant à lui, bien installé dans l’histoire. On connaît maintenant tout le monde ou presque, on est comme à la maison.
Les problèmes des parents d’Aya sont au cœur de ce volume, cependant les autres personnages, même les plus secondaires, comme la petite Félicité, ne sont pas pour autant délaissés. De grandes évolutions se profilent, les intentions de certains se révèlent, d’autres affirment leur personnalité. On saura donc avec qui Albert a ses rendez-vous à l’hôtel aux mille étoiles, si la belle Bintou va finir par se rendre compte des manigances de son gars ou encore comment va se dérouler le tant attendu concours de Miss Yopougon et bien d’autres choses que je ne peux vous dévoiler… Même si on voit venir certaines de ces « surprises, » il est toujours agréable de se prêter au jeu.
Dans ce tome Aya commence à s’interroger, à se sentir un peu seule aussi, mais n’en oublie pas ses ambitions (ni de se mêler des histoires de tout un chacun d’ailleurs, mais elle veut tellement bien faire !). Ses copines aussi se cherchent. Amour, boulot, chacune a fort à faire… Avec des adultes déjantés et parfois plus puérils que leurs enfants, une famille Sissoko toujours aussi désopilante et des personnages vraiment très attachants, on ne peut que passer un excellent moment de lecture. Aya de Yopougon est définitivement une série de BD que j’affectionne, tendre, optimiste, drôle et pleine de joie de vivre.
On trouve cependant quelques incohérences dans ce volume : une robe qui passe de rose à jaune, une erreur de prénom, un gars dont les vêtements changent du tout au tout d’une case à l’autre, une première dauphine qui ne se trouvait pas dans les cinq candidates retenues… Je ne suis pas très observatrice, mais ça quand même c’est inratable. C’est dommage, mais ceci dit ça n’a pas non plus trop gâché ma lecture. C’est vraiment une chouette BD, un récit très vivant, une bonne lecture pour l’été.

vendredi 1 août 2014

Le Soir, Lilith

Un roman de Philippe Pratx, publié aux éditions L'Harmattan.


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le soir lilith




Présentation de l'éditeur :
23 novembre 1924, Lilith Hevesi, star du cinéma muet, est retrouvée morte dans le château où elle s'est retirée dans la campagne hongroise. Quarante ans plus tard, le narrateur tente de dépoussiérer son passé, ses recherches sont perturbées par une femme qui éveille rapidement ses soupçons... Lilith est un fantôme qui arpente les différentes strates du temps dans des mondes aux frontières incertaines dont on ne cesse de gratter la pellicule inflammable.



Quelle difficulté il y aurait à vouloir expliquer simplement Le Soir, Lilith… Ce roman est celui d’une femme, dont l’énigmatique présence, le charisme et la personnalité trouble transcendent le temps, influencent les êtres. La langue est maîtrisée, imagée et précise à la fois, mais l'intrigue elle-même demeure indéfinissable, un vrai dédale où le propos oscille entre délire inspiré, voire enfiévré, et lyrisme emphatique. Souvent, cette écriture pourrait s’apparenter à de la poésie en prose. Ce fut une fascinante découverte, à plus d’un titre. L’histoire, le personnage principal, l’insaisissable Lilith, et le style sont indéniablement assortis.
L’ambiance est diffuse, elle a la consistance de la brume et tire sur le fantastique, pour le plus grand bonheur de l’amatrice du genre que je suis. L’auteur nous offre une intrigue prenante, mais quelque peu contemplative. Troublante, enrobée de mysticisme, pleine de secrets et de non-dits, elle peut engendrer autant le malaise que l’intérêt le plus profond et l’envie frénétique de tourner les pages. Ici l’histoire est éparse, elle se construit par touches, se délite parfois, elle demande au lecteur de s’immerger en elle.
Je suis toujours ravie de lire un roman qui ne soit pas bêtement chronologique ou linéaire, mais j’ai pu remarquer que cela perturbe un grand nombre de lecteurs. J’aimerais vraiment que l’on ne s’arrête pas à cela. Le Soir, Lilith est un roman exigeant, une histoire à tiroirs qui demande patience, goût du mystère, curiosité et investissement. L’auteur perd son lecteur, le rattrape au vol, sans cesse. Si celui-ci accepte de ne pas tout saisir, d’avancer à l’écoute de ses sensations, mais un bandeau sur les yeux, alors il pourra apprécier à sa juste valeur ce récit troublant qui s’apparente à un vieux film en noir et blanc. Parfois l’image saute, il se peut qu’elle soit détériorée par le temps et un peu floue, mais c’est elle qui raconte l’histoire, pas les quelques cartons qui de temps en temps la soulignent de si peu de mots, il vous faudra être attentifs, cependant vous aurez vos réponses.
Le personnage de Lilith, actrice des années vingt disparue dans de mystérieuses circonstances est vraiment fascinant. Dans le sens premier du mot qui allie charme et répulsion. Le terme de répulsion peut sembler un peu fort dans son cas, mais il est certain que Lilith est dérangeante. Fragile et vénéneuse à la fois, elle personnifie la femme sauvage, hors limites. Quand Eve — celle qu’elle incarne sous son nom de scène — est la face lumineuse, mais entravée, de sa personne, la vraie Lilith, complète et tellement plus vivante est la sauvagerie faite femme, littéralement possédée par elle-même et non par des rôles.
Le narrateur nous entraîne à sa suite, quarante ans plus tôt, de sa vie de jeune fille en Hongrie à ses débuts artistiques, des fastes du cinéma à sa réclusion dans les Carpates. Le cinéma lui-même, art si neuf et expressif, si prometteur tant il était alors un champ immense de possibilités, fait partie intégrante de l’histoire, apporte sa substance à l’ambiance et son élégance d’alors au récit. J’ai particulièrement apprécié les récits des films de Lilith qui contrastent par leur fantasmagorie avec l’essence purement fantastique (c’est-à-dire brillamment maintenue entre deux mondes) du récit de la « vraie » vie de l’actrice. Mais l’essence du roman reste Lilith.
Lilith et Eve, les deux femmes d’Adam, la première libre et insoumise, égale de son époux, la deuxième dépendante, née de lui, assujettie, ont toutes deux eu une influence sur Lilith Hevesi. Car celle-ci, selon son journal, ses lettres et les souvenirs du narrateur semble s’être perdue, mais aspirer à redevenir elle-même. Seulement sait-on (sait-elle ?) qui elle est ? Et que lui est-il arrivé d’ailleurs ? Si sa vie semble déjà mystérieuse, les circonstances de sa disparition le sont encore plus.
J’ai pris plaisir à ramasser les morceaux épars de ce puzzle et à tenter de reformer le tableau, alors que j’errais dans les méandres de la vie de Lilith, que je la voyais engendrer ses chimères… Le roman est délicieusement lent, évanescent comme l’est Lilith, tout en circonvolutions, tissé pêle-mêle des notes du narrateur qui fut un proche de Lilith et tente d’en écrire la biographie, de notes éparpillées, correspondance, divers journaux intimes, résumés des films de Lilith… Cela renforce l’aspect de puzzle, c’est une enquête à mener, des fils à débrouiller.
Ce récit merveilleusement construit, entre le fantastique et le roman noir, distille le doute en permanence. La femme, le démon, tous les mythes qu’on y rattache prennent vie ici. Lilith aux multiples visages est un personnage si complexe qu’on est presque tenté de croire à son existence.
Et la question revient sans cesse, dans les moments les plus épurés comme les plus malsains, qui est Lilith ? Et pourquoi, comment, les gens qui ont gravité autour de cette femme en sont restés à ce point obsédés ?
Pour trouver votre réponse, il vous faudra lire le roman.


Si celui-ci vous intrigue, ce qui j'espère est le cas, je vous invite à visiter le site qui lui est consacré.