mardi 30 décembre 2014

Bilan de fin d'année

J’ai globalement peu lu en 2014, néanmoins mes lectures furent plutôt bonnes. Il n’y eut que de rares petites déceptions et un seul abandon : Points chauds de Laurent Genefort (mais ce n’était pas la faute du roman, juste pas le bon moment de le découvrir pour moi).
Enfin, dans ce cortège d’heureuses lectures (que je vous invite à découvrir dans les archives même si elles ne se trouvent pas mentionnées dans ce billet. En effet, je n'ai quasiment chroniqué que les livres que j'ai le plus aimés cette année) quelques ouvrages sortent du lot et, comme tous les ans, je vais vous parler un peu de ces merveilleux livres qui m’ont accompagnée et resteront gravés dans ma mémoire de lectrice.
Certains ouvrages, pourtant estampillés du tag "coups de cœur" ne sont pas évoqués ici. J’ai préféré mettre en avant ceux qui, selon moi, le méritaient le plus et qui ont donc trouvé leur place dans mon Carnet Nuit.
C'est du concentré de coups de cœur en quelque sorte.


L’ordre de présentation n’est pas symbolique d’une quelconque préférence, j’aurais grand-peine à établir un classement de ce type.
Tous ont comblé la lectrice difficile que je suis par la qualité de leurs intrigues autant que par l’élégance et la finesse du style de leurs auteurs.


L’Étrange Cabaret des fées désenchantées d’Hélène Larbaigt
L’histoire est vraiment géniale. Tous les amateurs de féérie urbaine basée sur le folklore et les mythes devraient adorer cet ouvrage. Il vous le faut dans votre bibliothèque ! Je vais encore rêver longtemps de tous ces fabuleux personnages.
En outre, le livre est magnifique et de tous les « beaux » ouvrages que je possède, il est parmi mes préférés pour ses détails et son esthétique. Les illustrations sont vraiment magiques.


Punk’s not dead d’Anthelme Hauchecorne
Ce recueil de nouvelles a été à la fois ma dernière lecture de 2013 et la première de 2014.
Pour la lectrice exigeante que je suis, cette lecture a été délicieuse et n’a fait que me confirmer une fois de plus le talent de son auteur dont le style est aussi ciselé que l’imagination foisonnante.
Si vous n’êtes pas amateurs de nouvelles et que vous ne devez lire qu’un seul recueil en 2015, que ce soit celui-ci. Vous y trouverez du fantastique, de la SF, de l’urban fantasy, du merveilleux… toujours des histoires passionnantes et originales.
N’hésitez pas à visiter le site d’Anthelme Hauchecorne sur lequel vous pourrez retrouver quatre des nouvelles en pdf, avec en prime les superbes illustrations de Loïc Canavaggia.


Spiridons et La prisonnière du Kremlin de Camille von Rosenschild
Il s’agit d’un diptyque et c’est juste excellent.
Ces romans oscillent entre le fantastique et une low fantasy contemporaine, ce qui leur confère une atmosphère bien particulière. L’écriture est aussi magique que l’ambiance, l’auteur m’a emmenée avec elle tout de suite et j’ai adoré ce voyage. Le récit est rythmé, plein de rebondissements, l’histoire est vraiment très originale, mystérieuse, agrémentée de pointes d’humour subtiles. Il devient vite impossible d'interrompre la lecture.
Ce sont deux merveilleux romans que je conseille à tout le monde. On devrait pouvoir lire plus souvent des histoires aussi enthousiasmantes !


Le Soir, Lilith de Philippe Pratx
Celui-ci est une petite merveille. Il s’agit d’un roman noir, nimbé d’un fantastique sombre et délétère qui piège imparablement son lecteur.
L’auteur parvient à rendre une ambiance dense autant que volatile. L’intrigue est labyrinthique et il est délicieux de louvoyer dans cette ambiance fantastique qui oscille sans cesse entre vérité et mensonge, illusions et réalité.
Ce fut une excellente lecture.


Morwenna de Jo Walton
Cette lecture n'est certainement pas la plus "parfaite" de mon année livresque. Toutefois, j'ai une certaine tendresse à son égard.
Elle mérite d'être mentionnée ici pour toutes les qualités qui m'ont fait oublier ses défauts. Je crois que tout grand lecteur, surtout de SFFF, trouvera un peu de soi dans Morwenna et que son histoire a quelque chose de formateur, même pour ceux qui ont depuis longtemps dépassé les épreuves de l'adolescence.
Et puis, d'une certaine façon, Jo Walton nous montre aussi, si toutefois nous ne le savions pas déjà, quel pouvoir les livres peuvent avoir sur notre vie. Une scène en particulier restera gravée à jamais dans ma mémoire.
Je pense relire ce roman un de ces jours, quand j'aurai acquis certaines références littéraires qui m'ont manqué lors de la première lecture.


J'espère que 2014 a été une aussi bonne année livresque pour vous que pour moi. Puisse 2015 être meilleure encore !

samedi 27 décembre 2014

La prisonnière du Kremlin, Spiridons T2

Un roman de Camille von Rosenschild publié aux éditions Don Quichotte.
Les tomes 1 et 2 forment un ensemble qui, s'il reste ouvert à une suite potentielle, peut être lu indépendamment.


Vous pouvez également consulter mon avis sur le premier tome.


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Spiridons 2




Résumé de l'éditeur (spoilers sur le premier tome) :
A-t-on seulement peur de mourir quand on est déjà mort ? À travers la Russie, l’Ukraine et les Carpates, le voyage fantastique d’un jeune aventurier escorté par une troupe de Spiridons, ces âmes défuntes aux allures de vivants.
Victor est un garçon pas comme les autres : à dix-huit ans, il se découvre le Don de réveiller les morts.
Cet étrange secret, conservé depuis des siècles par une communauté tzigane des Carpates, lui vaut bien des convoitises.
Accompagné de cinq spiridons, ces âmes errantes revenues du royaume des défunts, et poursuivi par une caste de moines borgnes aux desseins effrayants, notre héros est pris dans une incroyable odyssée aux confins de la Russie.



Vous pouvez lire cet avis sans risque de spoilers.


Le premier tome se terminant dans un suspense insoutenable, il m’avait été presque douloureux de quitter les personnages à ce point de ma lecture. J’attendais cette suite, je l’appelais de mes vœux, je la rêvais… Et je l’ai savourée à sa juste valeur, en tremblant, mains crispées sur mon livre, forcée de m’interrompre parfois quelques minutes tant le récit me troublait.
Rien qu’en repensant à cette lecture, les émotions qui y sont liées remontent, s’enroulent et se nouent en figures aussi complexes qu’improbables, j’en ai des frissons et une boule dans la gorge. Alors comment trouver les mots pour exprimer dans ce billet tout ce que ce fabuleux roman m’a inspiré ?
La prisonnière du Kremlin est une toile d’araignée tissée de nombreux récits épars, mais qu’on sait liés, comme dans le premier tome, bien que de façon plus insidieuse encore. Après tout, une toile reste un piège… Cette histoire est diaboliquement ficelée. Il faut se retenir de tourner frénétiquement les pages pour pouvoir en profiter pleinement et s’accorder le temps de formuler des hypothèses, cela fait partie, selon moi, du grand plaisir de lecture que les deux volumes peuvent offrir. L’auteur se joue quelquefois de son lecteur, mais il est indéniable qu’elle a confiance en l’intelligence de celui-ci.
Comme dans le premier volume, le rythme de l’histoire est particulièrement bien géré. Pas de temps mort, pas de repos pour le lecteur, mais un élan imparable. On voit que cette histoire a été polie avec finesse et patience. Camille von Rosenschild distille petit à petit des informations concernant ses mystérieux personnages. Elle les a construits avec soin et c’est un plaisir de suivre leur évolution.
Elle nous donne également au fur et à mesure toutes ces réponses que l’on attend avec fébrilité depuis le premier tome. Je les regardais avec angoisse s’épanouir lentement ou surgir incidemment, en prédisant certaines, tombant des nues souvent. C’est ce qu’il y a de très déroutant avec cette histoire : elle est terriblement singulière et possède pourtant ce petit quelque chose de familier qui fait qu’on a l’étrange impression qu’elle susurre ses plus sombres secrets à quelque chose de lointain, ancré dans la partie la plus inaccessible de notre imaginaire. C’est de l’ordre du ressenti, de l’instinctif. Ce récit est sombre et merveilleux à la fois. On ne peut s’empêcher de croire tout ce que l’auteur nous raconte, parce que cela sonne vrai et qu’une part de nous désire ardemment que ça le soit.
Le lecteur ne sait jamais par avance où le chapitre suivant va l’entraîner et voudrait être partout à la fois, à la suite de chaque personnage. C’est un tour de force de ne jamais le perdre dans les méandres de cette intrigue aux si nombreuses ramifications. J’ai été sans cesse tiraillée entre l’envie de faire durer ma lecture le plus longtemps possible et celle de tourner les pages frénétiquement pour savoir la suite. Ces deux tomes nous content un récit imprévisible et cette qualité-là n’a pas de prix.
Ce fut une lecture intense, passionnante et immersive. J’avais adoré le premier tome. J’attendais beaucoup du deuxième et il s’est révélé excellent au-delà de toutes mes espérances. Ce diptyque est entré avec fracas au panthéon de mes lectures favorites, celles qui m’ont fascinée, émerveillée, nourrie et qui m’accompagneront à jamais. L’auteur n’a pas choisi la facilité et, si cela m’a bouleversée, je ne peux néanmoins que l’en remercier. Il faudrait plus de fictions aussi atypiques que celle-ci.
Si la fin de La prisonnière du Kremlin reste ouverte, on peut néanmoins considérer le récit comme clos. Camille von Rosenschild a écrit une histoire ambitieuse, originale et complexe qui m’a laissée bouche bée, admirative. J’espère de tout cœur qu’elle écrira encore de nombreux ouvrages, qu’ils soient liés ou non à cet univers.
Les deux tomes des Spiridons ont été pour moi une fantastique aventure, ils sont les dignes représentants de tout ce que j’aime dans la lecture et j’espère vous avoir donné envie de les découvrir à votre tour.

lundi 15 décembre 2014

Abyssia

Roman graphique.
Textes de Tiphaine Zanutto et illustrations de Diane Ozdamar.
Publié aux éditions du Chat Noir dans la collection Graphicat.


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abyssia




Présentation de l'éditeur :
À une époque dominée par les technologies et les industries polluantes, les hommes détruisirent ce qu’il restait de la couche d‘ozone, gage de leur vie sur Terre. Contraints de coloniser un autre monde les abritant du rayonnement solaire meurtrier, ils trouvèrent leur salut dans les profondeurs marines.

Abyssia, cité encerclée par l'étrangeté aquatique, dernier bastion de l'humanité, se heurta à un peuple doué de conscience : les Nouveaux Atlantes.
Lui, presque homme, n'aurait, dans un monde normal, jamais dû ouvrir les yeux.
Il n'en fut pas ainsi.
Elle, si humaine, promise à une vie superlative, fut hélas condamnée à errer dans les abysses.
Comment Ernestine, créatrice funeste, scientifique funambule oscillant entre devoir et moralité, scellera-t-elle son destin et celui de Grim ?



Ce sont les illustrations qui m’ont décidée à m’offrir ce livre. J’achète rarement des ouvrages graphiques sans les voir auparavant, mais les éditions du Chat Noir ont mis en ligne une vidéo durant la période de précommandes. C’est comme cela que j’ai été ferrée et je ne le regrette pas, d’autant que j’ai eu une sublime dédicace.
L’ouvrage est superbe et toutes les illustrations magnifiques, à la hauteur de ce que j’en attendais (et je suis assez difficile). J’ai adoré les parcourir, en apprécier les détails et les couleurs… L’ambiance un brin steampunk m’a particulièrement plu. J’aurais pu craindre que l’histoire soit en reste face à un si bel écrin, mais il n’en est rien.
Les premières pages m’ont semblé un peu hésitantes, j’ai l’habitude que les scénarios de ce genre d’ouvrages soient plus concis et aillent droit au but. Je ne comprenais pas l’intérêt d’autant de personnages. Cela est venu petit à petit, créant une harmonie douce-amère dans ce reliquat de civilisation humaine, sous les eaux, en proie à une guerre qui affaiblit ses dernières ressources.
Il est étrange de découvrir une forme d’harmonie dans le désastre, mais ce fut le cas. J’ai trouvé de la beauté dans les mots, fragile et parfois effrayante.
L’histoire est belle et tragique, assez différente de ce que le résumé de l’éditeur m’en avait laissé supposer, mais je m’attarde en général peu sur les résumés, préférant garder la magie de la découverte. Je vous encourage à faire de même, au moins pour ce livre-ci.
Le personnage d’Ernestine, complexe et torturé, m’a émue. J’ai accompagné durant quelques pages son évolution dans ce monde hostile, j’ai vu croître l’opposition entre sa conscience et ce qu’elle pensait être nécessaire pour sauver son peuple. J’ai vu poindre l’issue inévitable et pourtant je m’interrogeais toujours.
Abyssia est un très bel ouvrage, dans le fond comme la forme, ce fut un plaisir de le lire et l’admirer.


Je me dois de préciser qu’il manque une page de texte à cette première édition. Elle a été ajoutée sous forme de feuillet, avec une jolie mise en page pour compenser.

dimanche 14 décembre 2014

Challenge Winter Mythic Fiction - Saison 2 !

Ce challenge vous est proposé par Lhisbei. Suivez le lien pour vous inscrire.


Vous souhaitez peut-être un petit topo sur le thème et les modalités ? (Oui, je copie/colle sans la moindre honte.)




Mythic Fiction ou Mythic Fantasy : une fantasy proche du merveilleux, des contes (qu’elle les réécrive ou qu’elle en invente) ou qui brode sur les mythes ou le folklore. Elle croise parfois la fantasy plus classique, le fantastique ou la fantasy urbaine.


Comme pour les éditions précédentes du challenge hivernal, il se déroulera du 21 décembre au 21 mars inclus et concernera les supports suivants : romans, nouvelles, BD, films et séries.



C'est un thème qui me parle et l'année dernière je m'étais évidemment inscrite. Malgré mon enthousiasme et le temps imparti, je me suis lamentablement vautrée. J'en ai encore terriblement honte aujourd'hui...
J'ai très peu lu en début d'année et rien qui entrait dans ce cadre. Mais j'ai une chance de ma rattraper, une PAL pleine de livres adaptés, cette année l'hiver sera mythique !
(Enfin, si je sors vivante du Grand Vaisseau.)


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challenge WMF

dimanche 7 décembre 2014

L'alchimiste de Khaim

Une nouvelle de Paolo Bacigalupi, publiée en format poche et en numérique aux éditions Au Diable Vauvert.


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lalchimiste_de_khaim*


L’alchimiste de Khaim est une courte nouvelle de fantasy qui rappelle beaucoup les fables et les contes. Dans ce monde, la magie existe mais est prohibée car elle favorise la pousse d’un roncier empoisonné, particulièrement résistant et volubile, qui envahit tout. Rien ne permet de s’en débarrasser, si on le brûle, les cosses éclatent et répandent des graines qui s’enracinent et se développent à grande vitesse. Un artisan, autrefois riche et aujourd’hui déchu, pratique la magie en secret pour soigner sa fille, alors qu’en parallèle il consume son existence dans la quête d’un moyen de détruire le roncier. Après de longues années de travail intensif, il touche au but, mais que feront les dignitaires de la cité de son invention ?
Je vous le disais, cela ressemble à un conte, ou une fable pour sa morale. C’est une histoire évidente, mais joliment racontée et la métaphore, aussi simple soit-elle, est bien trouvée. Elle peut s’appliquer à de nombreuses ressources que nous gaspillons et dont l’épuisement fatal nous fait avancer toujours plus vite vers notre chute.
L’alchimiste est un homme qui peut sembler égoïste au départ, effet renforcé par la scène qui nous le présente. Pourtant, en apprenant à le connaître, on se rend compte que derrière son orgueil se cache avant tout un humaniste, soucieux de sa patrie et de ses concitoyens. Il est émouvant et idéaliste dans sa quête désespérée contre le roncier, alors même qu’il se sent coupable de devoir utiliser la magie pour sauver sa fille quand d’autres, plus puissants, en usent pour nourrir leur folie des grandeurs. De fait, on sait d’avance qu’il risque quelques déconvenues, mais, comme lui, on espère, on veut avoir foi en l’humanité.
L’histoire est évidente, vous disais-je, mais peut aussi surprendre sur certains points. Elle m’a plu dans sa simplicité et la douceur de son écriture. En outre, je trouve qu’elle illustre bien le précepte « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Quant à savoir si l’alchimiste laissera son invention être dévoyée impunément, il vous faudra lire la nouvelle pour en avoir le cœur net.


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logo_vert JLNN

vendredi 5 décembre 2014

Morwenna

Un roman de Jo Walton publié aux éditions Denoël.
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Morwenna
Présentation de l'éditeur :
Morwenna Phelps, qui préfère qu'on l'appelle Mori, est placée par son père dans l'école privée d'Arlinghurst, où elle se remet du terrible accident qui l'a laissée handicapée et l'a privée à jamais de sa sœur jumelle, Morganna. Là, Mori pourrait dépérir, mais elle découvre le pouvoir des livres de science-fiction. Delany, Zelazny, Le Guin et Silverberg peuplent ses journées, la passionnent.
Un jour, elle reçoit par la poste une photo qui la bouleverse, où sa silhouette a été brûlée. Que peut faire une adolescente de seize ans quand son pire ennemi, potentiellement mortel, est une sorcière, sa propre mère qui plus est? Elle peut chercher dans les livres le courage de combattre.
Ode à la différence, journal intime d'une adolescente qui parle aux fées, Morwenna est aussi une plongée inquiétante dans le folklore gallois. Ce roman touchant et bouleversant a été récompensé par les deux plus grands prix littéraires de la science-fiction : le prix Hugo et le prix Nebula. Il a en outre reçu le British Fantasy Award.
Morwenna, dite Mori, est une adolescente un peu à part, qui croit aux fées et en la magie. Elle a 15 ans, souffre encore physiquement des séquelles d’un accident et demeure surtout profondément traumatisée par la mort de sa jumelle. Elle s’est enfuie de chez sa mère pour atterrir chez un père qu’elle n’a jamais connu. Elle a quitté son Pays de Galles natal et, s’il n’est pourtant pas si loin, elle se sent vraiment en pays étranger, d’autant plus qu’on l’envoie en pension dans un établissement scolaire huppé où elle ne se sent pas du tout à sa place.
Ce roman, de son titre original Among Others (tellement bien trouvé au regard du récit lui-même), est écrit sous forme de journal. Morwenna y consigne ses réflexions à propos de ses lectures et de sa vie en général. Elle ne trouve de réconfort que dans la lecture, du moins au début.
Dans les premières entrées de son journal, que d’ailleurs elle écrit en miroir, ce que je trouve très significatif, on sent l’opposition entre le « nous » et le « je », comme une rupture entre le passé et le présent. Morganna et Morwenna sont un peu comme Castor et Pollux ; Mori se sent entre deux mondes, à la fois morte et vivante, depuis le décès de sa jumelle. Le fantastique est savamment employé, l’adolescente est prise dans une perpétuelle oscillation entre deux mondes : le réel, avec son quotidien à l’école, sa solitude et ses soucis, puis le symbolique dans lequel elle pratique une magie simple, mais tortueuse, et où se meuvent ces fées qu’elle pense voir.
Cette histoire se déroule à la fin des années 70, époque marquante en ce qui concerne la SF, ce qui donne une saveur particulière au roman. Morwenna est une jeune fille fragile, mais combative, intelligente et touchante. Elle a vraiment l’impression d’être en quête, bien qu’elle ne sache pas forcément de quoi au départ quand elle essaie juste de limiter la casse et de se protéger de l’influence maternelle.
Les livres sont sa planche de salut, elle en dévore au moins deux par jour. En vraie lectrice compulsive, Morwenna parle beaucoup de ses lectures, surtout au début quand elle n’a pas grand-chose d’autre dans sa vie. Elle évoque de très nombreux titres. J’ai dû à peine lire le quart d’entre eux et pas forcément ceux qui lui donnent le plus à réfléchir, notamment les écrits de Delany. Cependant, je n’ai pas trouvé cela gênant, même si je me suis renseignée un minimum pour certains. Des références plus pointues sur ces textes aideraient sans doute à mieux la comprendre, mais d’un autre côté cela donne aussi envie de les lire.
Cela peut parfois sembler un peu ennuyeux pour qui n’est pas particulièrement bibliophile, Morwenna enchaîne tant de titres d’ouvrages, mais si on la comprend, si on sait qu’elle cherche à la fois à se protéger et à vivre dans ce monde grâce aux livres, on voit les choses sous un autre angle, au-delà de cette simple énumération. Les livres la nourrissent, la protègent, la guérissent, l’aident à grandir, comme une nouvelle gestation. Loin de chez elle, parmi des gens qui ne la comprennent pas, privée de sa sœur alors qu’elles n’avaient jamais mis de limite de personnalité entre elles deux, blessée, détestée par sa mère et près d’un père effacé qu’elle ne connaît pas, il ne lui reste plus que sa passion pour la littérature. En cela, je me suis sentie très proche d’elle.
Ce qui doit être retenu, selon moi, est que les livres sont sa manière de se confronter au monde, elle est en état de choc, c’est sa seule façon de l’appréhender sans devenir cinglée, comme une thérapie en quelque sorte. Ainsi elle a, sur les romans qu’elle lit ou la vie en général, des réflexions intéressantes alors que d’autres la feraient passer pour une complète extraterrestre. Elle ne sait tout simplement pas comment vivre parmi les autres. Parfois elle semble vraiment perturbée, le plus souvent déconnectée à tout le moins. Elle consterne le lecteur ou lui inspire un élan de tendresse. Elle est socialement inapte, ne connaît pas du tout les codes, mais c’est une fille attachante derrière sa froideur analytique et son pragmatisme qui tranchent face à ses croyances ésotériques. Elle a juste besoin de trouver des gens qui peuvent la comprendre et l’aimer telle qu’elle est.
Sa sœur est comme un fantôme mélancolique, symbolisant l’enfance qui disparaît et cette part de Mori dont elle se sent amputée. On la voit guérir peu à peu, chercher sa place et sa personnalité en tant qu’individu et non plus comme la moitié d’une paire de jumelles. C’est émouvant, on ne peut que se prendre d’affection pour elle.
La mère de Mori demeure par contre une présence malveillante qui plane comme une ombre sur la vie de sa fille, parfois discrète, d’autres fois pesante et inquiétante. Elle lui envoie des photos sur lesquelles elle lui a brûlé le visage. Est-elle réellement une sorcière comme sa fille le prétend ou juste une mère abusive complètement folle dont sa famille n’a pas su la protéger ? On se pose beaucoup de questions sur ce qui est arrivé aux jumelles et j’ai beaucoup aimé que les réponses ne viennent que petit à petit.
C’est une belle lecture, jamais trop glauque, le fantastique est subtil la plupart du temps et je me suis un peu retrouvée dans cette adolescente amatrice de SF. J’ai aimé la voir grandir et tenter de se libérer de son passé.
Le seul point négatif se trouve pour moi dans les derniers chapitres qui m’ont semblé abominaffreusement niais par moment. Je n’aime pas du tout le personnage de Wim dont le seul intérêt est selon moi la forme de faux palindrome de son prénom… (Je sais, j’ai un souci avec ça…) Ce qui me gêne principalement avec lui est qu’il casse la dynamique fantastique de l’histoire en s’invitant dans le monde symbolique de Mori, alors que là n’est pas sa place. C’est vraiment dommage, cela a presque réussi à gâcher ma lecture. Néanmoins ce récit m’a tant apporté que je peux bien lui pardonner.
Ce roman ne plaira pas à tout le monde. Il faut avoir envie de s’enterrer vivant avec Morwenna dans son quasi autisme. C’est une fille intelligente, mais vraiment déconnectée, et sa pensée, bien que réfléchie et pragmatique, peut se révéler aussi vive et claire que lourde et hachée. Quant à moi, j’ai trouvé passionnante l’histoire de cette jeune fille et je crois qu’elle séduira sûrement les amateurs de fantastique, de merveilleux, les bibliovores de tous poils, surtout ceux qui sont férus de SFFF, les gens prêts à croire et ceux qui aiment les personnages très développés.
En chaque grand lecteur, il y a forcément un peu de Morwenna. Ce roman a mérité sa place dans mon carnet nuit, réservé aux ouvrages les plus marquants dans ma vie de lectrice.

Je vous invite également à consulter les avis de Lune et Méli.